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Les risques psychosociaux en temps de pandémie et de post-pandémie

Depuis plus de 17 ans, France St-Hilaire s’intéresse à promouvoir et à améliorer le bien-être des individus au sein des organisations. Ses travaux concernent plus particulièrement les facteurs organisationnels et les comportements qui favorisent la santé psychologique au travail.

Ses principaux projets de recherche concernent les comportements que peuvent adopter les gestionnaires et les employé-e-s, au quotidien, pour favoriser la santé psychologique au travail ainsi que les interventions organisationnelles à haut potentiel en santé psychologique au travail.

Nous lui avons posé quelques questions afin de mettre en lumière l’impact de son travail en temps de pandémie (et de post-pandémie). 

De quelle façon l’arrivée de la pandémie a affecté vos recherches sur la santé psychologique et le bien-être au travail? 

Mes recherches ont été affectées plutôt à moyen terme, puisqu’au début de la pandémie je n’étais pas en collecte de données. Cela aura cependant retardé le départ d’un projet, parce que les organisations n’étaient pas vraiment prêtes ou disponibles pour documenter un projet qui n’était pas à propos de la pandémie, donc qui ne s’inscrivait pas dans l’actualité, la compréhension des effets de la pandémie à court terme. 

Alors que plusieurs de mes collègues ont saisi l’opportunité de documenter la pandémie, ma curiosité était plutôt sur la question : qu’est-ce qui va rester de cette pandémie, qu’est-ce que ça va changer ? La pandémie aura certainement affecté mes recherches futures. Nous observions déjà certains changements avant le début de la pandémie, par exemple l’augmentation de l’intensité du travail en raison de la pénurie de main-d’œuvre et de la concurrence des marchés et la pandémie n’aura fait qu’accélérer, qu’accentuer ces changements. 

Un autre effet pour moi fut d’accélérer le développement d’un projet de recherche axé plus particulièrement sur la charge de travail dans un contexte où il n’y a plus de frontière, où les objectifs deviennent flous et où il y a beaucoup d’incertitudes face à l’avenir. Comme les organisations peinaient à gérer la crise, nous étions cependant limité-e-s en matière d’accès aux données. Il fallait plus de sensibilité pour gérer les demandes qu’on pouvait faire aux organisations, car elles étaient plutôt preneuses de solutions « ici et maintenant ». 

La pandémie a affecté la santé psychologique et le bien-être, qui se sont soudainement retrouvés plus que jamais au cœur des préoccupations de toutes les parties prenantes. Je n’avais jamais vu ça dans ma carrière. Je crois que nous avons une opportunité en or ici, un peu comme avec les changements climatiques, et il faut saisir cette opportunité pour essayer de changer les choses de façon pérenne et durable, pour faire de la santé et du mieux-être psychologique une priorité organisationnelle.

Je pense que c’est peut-être l’aspect le plus positif de la pandémie ; on aura sensibilisé tout le monde à l’importance de la santé psychologique. On l’aura rendue plus concrète pour plusieurs personnes, pour qui c’était peut-être déjà important, mais qui ne pouvaient pas prendre la pleine mesure des conséquences lorsque celle-ci se détériore, pour soi et pour les autres. 

Pouvez-vous nous donner un exemple de facteurs de risque organisationnel en temps de pandémie ? 

Deux facteurs de risque ressortent principalement de la pandémie. D’abord, la charge de travail, particulièrement chez celles et ceux que l’on appelle les travailleurs-euses du savoir (ceux et celles qui travaillent à produire et à utiliser de l’information). La charge (ou surcharge) de travail, que l’on appelle aussi la demande psychologique, est de plus en plus difficile à saisir. On constate en effet un écart de plus en plus grand entre ce que l’on pense que les gens font réellement (donc ce qu’on leur demande de faire; le travail prescrit) et ce qu’ils font réellement (le travail réel). On peut penser aux multiples interruptions du travail, comme via les plateformes collaboratives numériques, mais aussi le fait qu’on soit en travail hybride ou en télétravail. Il y a souvent le besoin d’avoir une connexion qui est permanente, et qui n’est pas nécessairement saine sur le plan de la gestion du temps de travail, mais aussi de la charge cognitive. 

Nous avons un projet de recherche qui veut documenter quels sont les effets de la charge de travail dans un contexte post-pandémique, comment mieux la mesurer et comprendre quels en sont les effets afin de mieux la gérer. 

Un autre facteur de risque qui m’intéressait depuis plusieurs années et qui prend maintenant toute son importance : les relations interpersonnelles. On a vu un effritement du lien social, ce qui a entraîné l’augmentation de la détresse psychologique. On a vu beaucoup de situations de manque de respect, d’incivilité, voire de harcèlement. De nombreux conflits éclatent dans les milieux de travail. On a pris conscience à quel point les relations interpersonnelles sont importantes pour simplement pouvoir réaliser la partie transactionnelle de notre travail, soit réaliser ses tâches, être efficace ensemble, et c’est sans parler de leur importance pour favoriser le soutien social entre les membres d’une même organisation. S’intéresser aux relations interpersonnelles, au lien social, dans cette nouvelle normalité est certainement un projet à court terme que je souhaite développer. 

Comment le télétravail a-t-il affecté le rôle des gestionnaires d’équipe ?

La pandémie a été un grand changement, particulièrement pour les gestionnaires, et surtout pour ceux et celles qui n’avaient pas nécessairement l’habitude d’avoir des équipes hybrides. Alors que dans certains milieux ou secteurs économiques, on avait déjà l’habitude du télétravail et des équipes hybrides (ou même des équipes sur plusieurs fuseaux horaires), pour la grande majorité, ça été une toute nouvelle réalité. Soudainement, les gestionnaires n’avaient plus accès aux indicateurs habituels et l’organisation du travail et des tâches n’étaient plus la même. 

De plus, ce n’était pas du télétravail comme on le connaissait. Il y avait maintenant peu de frontières entre la vie professionnelle et personnelle. L’un des grands défis des gestionnaires a été de savoir comment ne pas devenir intrusif-ve, dans un contexte où personne n’a vraiment le contrôle de sa situation (exemple : les parents qui devaient faire l’école à la maison). Comment assurer une forme d’équité, de justice organisationnelle, entre les télétravailleurs-euses (comme ne pas toujours en demander plus à la personne qui se rend disponible parce que sa vie personnelle lui permet plus de flexibilité, et qui se retrouve donc constamment connecté-e)? Ça a définitivement été un grand défi pour les gestionnaires durant les différentes phases de la pandémie. 

Un autre enjeu a été par rapport à la question : comment je vais dynamiser l’équipe, ou comment travailler le climat d’équipe ? Ces interactions spontanées que l’on a normalement dans un espace de travail, par exemple quand on se croise à la machine à café, comment les reproduire ? Ces occasions informelles de discussion qui sont oh combien salutaire et efficace dans un contexte de travail « normal » deviennent en mode télétravail plus souvent des interruptions; une question posée sur une plateforme de travail collaborative, un courriel, ou un appel vidéo. Alors que ces interruptions peuvent être tolérées dans un milieu de travail où l’on avait appris à connaître le code (exemple la porte fermée pour ne pas être dérangé-e), il a fallu s’ajuster pour apprendre ce qui est acceptable ou pas dans un contexte virtuel. Les occasions de discuter informellement se sont perdues, alors qu’on enchaînait les réunions les unes après les autres ou qu’on passe immédiatement à une autre tâche. 

Je pense que pour tout ce qui concerne le climat de travail, la dynamique d’équipe et la collaboration entre les personnes, il a fallu trouver de nouvelles façons de gérer. Pour plusieurs gestionnaires, le fait que l’employé-e soit visuellement présent de 9 à 5 était un gage de performance, alors que nous savons très bien que nous pouvons être présent-e-s au travail et faire du présentéisme. La crainte de perdre de l’efficacité, de ne pas faire toutes les heures de travail prévues, l’interrogation à savoir si nous étions vraiment efficaces dans notre travail, furent autant d’éléments à gérer. 

Je dirais que maintenant, l’un des enjeux principaux sera de gérer la crainte du retour au travail et la perte, pour certain-e-s employé-e-s, de la flexibilité qu’ils ou elles avaient gagnée durant les deux dernières années. Cela va les amener à devoir développer encore un nouveau rôle, parce que dans plusieurs milieux de travail, cela ne sera plus comme avant. On a pu observer les avantages du télétravail et beaucoup d’employé-e-s le réclament, on va donc devoir aller vers des modes hybrides qui vont demander de nouveaux ajustements pour nos gestionnaires et ce, dans les prochains mois, voire les prochaines années.

Pour conclure, quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un-e gestionnaire qui souhaite entreprendre une démarche en vue de favoriser la santé psychologique au travail ?

Le premier conseil que j’aimerais donner aux gestionnaires, c’est de ne pas voir le fait de s’occuper de la santé psychologique des employé-e-s comme étant quelque chose qui s’ajoute au travail du gestionnaire, mais plutôt comme quelque chose qui en fait partie intégrante. 

Vous pouvez apporter de petits ajustements dans votre façon de gérer l’équipe, afin de réduire les risques psychosociaux auxquels sont exposés les membres de votre équipe, par exemple la charge de travail, le manque de reconnaissance ou de soutien qui n’est peut-être pas optimal. N’attendez pas un plan quinquennal pour mettre en action de petits ajustements dans l’environnement de travail, car ils peuvent avoir de grands effets. 

Un deuxième conseil : se faire accompagner, si on a la chance de pouvoir le faire, par son service de ressources humaines ou de santé et sécurité du travail, afin de voir s’il ne peut pas y avoir une démarche qui soit plus pérenne dans le temps, et dans laquelle vous ferez de la santé psychologique une activité qui est inscrite dans votre activité de gestion. Avoir une démarche qui est plus structurée ne veut pas nécessairement dire qu’elle sera très énergivore. Comme n’importe quel changement d’habitude, il faut l’intégrer à notre quotidien de gestion et cela deviendra aussi la responsabilité des employé-e-s, qui vont prendre en charge une certaine partie de cette démarche. Car si le gestionnaire doit prendre le leadership de la démarche, il n’en est pas l’unique responsable.

 

Cette entrevue de France St-Hilaire, Ph. D. Professeure titulaire, École de gestion - Université de Sherbrooke, a été réalisée par Josianne Isabel. 


Cet article est un contenu extrait de la 9e édition de notre magazine. Vous pouvez la consulter dans son intégralité en cliquant sur le lien suivant : La 9e édition du magazine est maintenant disponible !

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