Espaces d'épanouissement, de collaboration et de croissance, les milieux de travail peuvent parfois être entachés par une réalité sombre : le harcèlement. Une problématique complexe et délicate, qui peut prendre de nombreuses formes, allant du harcèlement verbal subtil à des comportements plus flagrants. Dans cet article, nous explorerons les différentes facettes du harcèlement en milieu professionnel, ses impacts sur les individus et les organisations, et surtout, les mesures pouvant être prises pour créer des environnements de travail exempts de toute forme de harcèlement.
POUR RÉDIGER CET ARTICLE, NOUS AVONS BÉNÉFICIÉ DU SOUTIEN ET DU PARTAGE DE CONNAISSANCES DE LA CHERCHEUSE MAHÉE GILBERT-OUIMET, DE L'UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À RIMOUSKI (UQAR).
La CNESST définit le harcèlement au travail comme « toute conduite vexatoire (abusive, humiliante, blessante) qui se manifeste par des paroles, des gestes ou des comportements qui sont répétés, sont hostiles (agressifs, menaçants) ou non désirés, portent atteinte à la dignité (c’est-à-dire au respect, à l’amour-propre) ou à l’intégrité (à l’équilibre physique, psychologique ou émotif) de la personne et rendent le milieu de travail néfaste pour elle ».
De manière générale, le harcèlement au travail peut donc englober les éléments suivants : des comportements menaçants, des menaces verbales ou écrites, une utilisation abusive de la langue et même, dans certains cas, des agressions physiques. Enfin, il est important de préciser qu’une seule conduite grave peut être considérée comme du harcèlement si elle entraîne des conséquences négatives et durables pour la personne qui en est victime. Face à cette réalité, il est impératif de sensibiliser, éduquer et unir nos efforts de prévention.
Statistiques
Des données récentes montrent que le harcèlement en milieu de travail demeure une réalité préoccupante au Québec. Selon l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA), environ 484 000 travailleurs-euses québécois-e-s ont rapporté avoir subi du harcèlement au cours de 12 derniers mois, soit environ 11 % des travailleurs-euses du Québec. Parmi les plaintes, seulement 20 % seraient juridiquement fondées, soulignant l'importance de différencier le harcèlement des conflits ou comportements d'incivilité. Par ailleurs, une grande proportion des employé-e-s (26 %) ignore à qui s'adresser pour déposer une plainte, et 24 % doutent que leur employeur agirait de manière adéquate.
Ces statistiques appellent à une amélioration des politiques de prévention et de gestion des plaintes, ainsi qu’à une meilleure sensibilisation des employé-e-s pour encourager un climat de travail respectueux et sécuritaire.
Pour plus de détails, les données des sondages CRHA et CNESST sont accessibles en ligne.
De quoi parle-t-on ?
Il existe plusieurs formes de harcèlement, dont :
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Harcèlement psychologique : il implique un comportement hostile, offensant ou dégradant envers un individu de manière répétée. Cela peut inclure des critiques injustifiées, des humiliations, des intimidations et tout autre comportement visant à isoler, déstabiliser ou diminuer la dignité.
Exemple issu de la CNESST :
Normand, mécanicien industriel, est victime de harcèlement par un groupe de collègues qui lui jouent des tours pour nuire à son organisation au travail. Ces agissements répétitifs, impliquant des indications erronées sur les lieux et horaires de travail, affectent sa ponctualité, sa crédibilité et son moral. Timide, Normand hésite à réagir, mais finit par confier la situation à une personne de confiance, qui l'encourage à en parler à son employeur. Celui-ci, conscient de la gravité des faits, agit rapidement pour mettre fin au harcèlement.
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Harcèlement sexuel : il englobe tout comportement sexuellement suggestif, non sollicité ou indésirable qui crée un environnement de travail hostile. Cela peut inclure des commentaires inappropriés, des avances non désirées, des remarques dégradantes à caractère sexuel ou des gestes à caractère sexuel.
Exemple issu de la CNESST :
Anna, architecte dans une petite firme, subit du harcèlement sexuel de la part d’un associé avec qui elle collabore en l’absence de l’autre dirigeante. Il la touche de manière inappropriée, lui fait des avances explicites et, face à ses refus, devient insultant et met en doute ses compétences. Cette situation affecte gravement son bien-être, entraînant des pleurs fréquents, de l'insomnie et des tensions professionnelles, allant jusqu'à des menaces de congédiement.
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Harcèlement discriminatoire : il se produit lorsque des individus sont traités de manière injuste ou inéquitable en raison de caractéristiques protégées par la Charte des droits et libertés de la personne (art. 10) telles que :
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La race, la couleur de la peau, l’origine ethnique ou nationale ;
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L’âge, la langue, le sexe, la grossesse, l’état civil ;
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L’identité ou l’expression de genre, l’orientation sexuelle ;
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La religion, la condition sociale, les convictions politiques ;
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Le handicap ou le moyen utilisé pour diminuer l’impact d’un handicap.
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Exemple imaginaire :
Sofia, analyste dans une grande entreprise d’origine maghrébine, reçoit des commentaires déplacés sur ses origines par ses nouveaux collègues, insinuant qu'elle a obtenu son poste grâce à des politiques de diversité plutôt qu'à ses compétences. Lors de réunions, ses suggestions sont souvent ignorées ou tournées en dérision. L’un de ses collègues fait régulièrement des blagues stéréotypées sur sa culture, même après qu'elle lui ait demandé d'arrêter. Ce harcèlement constant affecte la confiance et la motivation de Sofia, l'isolant progressivement au sein de l'équipe et impactant sa santé mentale.
Il est à noter que le harcèlement peut aussi se produire par le biais de cyberintimidation.
De plus, et comme le mentionne la CNESST, celui-ci peut se produire à tous les niveaux de la hiérarchie d’une entreprise : entre gestionnaires, entre collègues, entre gestionnaire(s) et membre(s) du personnel, avec des fournisseurs voire avec les client-e-s/usager-s/élèves/autres.
Exemple imaginaire :
Marie est réceptionniste dans un centre de santé. Un client régulier, Paul, a pris l’habitude de lui faire des commentaires inappropriés sur son apparence. Lorsqu’elle reste professionnelle et n’encourage pas ses propos, il devient désagréable, hausse la voix, et insinue qu’elle est impolie ou "trop susceptible". Un jour, Paul se met en colère lorsque son rendez-vous est retardé et dit devant d'autres client-e-s : "Ce n'est pas étonnant que ça traîne ici, vu comme elle est juste là pour décorer". Marie se sent humiliée et anxieuse chaque fois qu'elle doit interagir avec lui.
Pourquoi s'en soucier ?
La loi de modernisation du régime SST stipule dans l’Art. 5 : « Obliger l’employeur à prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection d’un travailleur exposé sur les lieux de travail à une situation de violence physique ou psychologique, incluant la violence conjugale, familiale ou à caractère sexuel »
De plus, la Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail, quant à elle, mentionne dans l’Art. 28.0.1 : « Une blessure ou une maladie d’un travailleur est présumée être survenue par le fait ou à l’occasion de son travail lorsqu’elle résulte de la violence à caractère sexuel subie par ce dernier et commise par son employeur, l’un des dirigeants de ce dernier dans le cas d’une personne morale ou l’un des travailleurs dont les services sont utilisés par cet employeur aux fins d’un même établissement, sauf si cette violence survient dans un contexte strictement privé ».
De cette manière, la législation québécoise prône une politique de tolérance zéro envers le harcèlement. S’attaquer à ce risque psychosocial du travail ne relève pas seulement d'une obligation légale ou d'une préoccupation éthique, mais d'une nécessité stratégique pour les employeurs désireux de maintenir des environnements de travail sains et productifs.
Le harcèlement, en plus de nuire à la santé physique et mentale des personnes concernées, peut avoir des ramifications sur l'ensemble de l'organisation.
Au niveau organisationnel :
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En affectant la dynamique des équipes ;
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En fragilisant la cohésion organisationnelle ;
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En ternissant la réputation de l'entreprise ;
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En entraînant une baisse de productivité ;
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En augmentation le taux d'absentéisme et de présentéisme.
Au niveau individuel :
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Perte de motivation au travail ;
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Aggravation du stress et de la détresse psychologique ;
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Dépression ;
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Troubles musculo-squelettiques ;
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Troubles du sommeil ou fatigue chronique ;
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Conflits entre collègues ;
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Sentiment d’impuissance ;
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Ressentiment envers l’entreprise.
La prévention du harcèlement au travail représente donc un investissement dans la santé, le mieux-être et la réussite durable de l'ensemble des membres du personnel des organisations québécoises.
Quelles sont les causes principales ?
Les causes du harcèlement en milieu de travail sont souvent multifactorielles, résultant d'une combinaison complexe de dynamiques organisationnelles, individuelles et culturelles. Parmi les principales causes figurent :
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La surcharge de travail, qui peut exacerber les tensions au sein des équipes, augmentant ainsi les risques de comportements inappropriés ;
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Les inégalités de pouvoir ou des déséquilibres hiérarchiques, qui peuvent favoriser des comportements abusifs ;
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Les préjugés et la discrimination liés à des caractéristiques telles que le genre, la race, la religion ou l'orientation sexuelle sont également des facteurs contributifs ;
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Les cultures organisationnelles toxiques, où des comportements inappropriés sont tolérés ou minimisés, souvent en l'absence de politiques claires et de procédures de signalement efficaces ;
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Les conflits non résolus, une communication inadéquate ou une gestion déficiente des comportements inappropriés qui peuvent dégénérer en comportements de harcèlement.
Reconnaître ces causes est important afin de mettre en œuvre des stratégies de prévention efficaces, favorisant ainsi des milieux de travail sécuritaires, respectueux et équitables.
Comment y faire face ?
Faire face au harcèlement en milieu de travail nécessite une approche proactive et engagée. Tout d'abord, il est essentiel de promouvoir la tolérance zéro envers le harcèlement. En complément, voici quelques pistes de solution pour le prévenir :
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Mettre en place des politiques claires, de tolérance zéro, accessibles à tous-tes les employé-e-s, et des procédures de signalement confidentielles est crucial. Fournir des exemples concrets de comportements et de conditions de travail inacceptables est également recommandé ;
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Promouvoir un environnement de travail sécuritaire et respectueux, ainsi qu’une culture inclusive et diversifiée peut contribuer à prévenir le harcèlement en favorisant le respect mutuel et la compréhension entre les membres de l'équipe. En agissant de manière concertée à tous les niveaux de l'organisation, il est possible de créer des environnements de travail sains et sécuritaires, dépourvus de harcèlement ;
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Avoir un Programme d'Aide aux Employés (PAE) que les employé-e-s peuvent utiliser de manière confidentielle pour obtenir de l'aide s’avère primordial ;
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Intervenir immédiatement sur les situations de harcèlement, en se renseignant sur les faits puis en rencontrant les personnes concernées, pour ensuite déterminer les actions à poser pour corriger et prévenir toute situation similaire. Prendre en charge les plaintes reçues rapidement et de manière impartiale est fondamental pour démontrer que le harcèlement ne sera pas toléré. Les responsables doivent être formé-e-s à reconnaître et à traiter ces situations de manière sensible et équitable ;
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Offrir de la formation régulière sur la sensibilisation au harcèlement, tant pour les employé-e-s que pour les gestionnaires, contribue à éduquer et à prévenir ces comportements. En encourageant un environnement où la communication ouverte est valorisée, les employé-e-s se sentiront plus à l'aise pour signaler des incidents de harcèlement.
En conclusion, le harcèlement en milieu de travail représente une problématique complexe et délicate qui nécessite une attention soutenue et des actions concrètes. L’exploration de ses diverses formes et de ses conséquences met en lumière l’urgence d’instaurer des mesures efficaces pour l’éliminer.
Pour en savoir plus, voici d'autres ressources que vous pouvez consulter en complément d'informations:
- Risques psychosociaux : quels sont les risques ciblés par la Loi modernisant le régime SST ?
- Risques psychosociaux : quels sont les risques « émergents » ?
- Prévenir proactivement les risques psychosociaux grâce aux soft skills
- Pistes d'action sur les pratiques en prévention des risques psychosociaux (RPS)
- Prévenir les risques psychosociaux du travail : par où commencer ?
Sources :
- CNESST : Harcèlement au travail
- Harcèlement en milieu de travail : près de 100 000 victimes annuellement selon une estimation de l’Ordre des CRHA (Carrefour RH)
- La prévention du harcèlement en milieu de travail (PDF – CNESST)
- INSPQ : Harcèlement psychologique au travail (Autrices et auteur : Mariève Pelletier, Institut national de santé publique du Québec; Katherine Lippel, Université d’Ottawa; Michel Vézina, Institut national de santé publique du Québec)
- Gilbert-Ouimet, M. (co-première auteure), Hervieux, V. (copremière auteure), Truchon, M., Bernard, G., Thibeault, J., et Lachapelle, É. (2024). Répertoire des pratiques organisationnelles pour réduire les risques psychosociaux du travail. Université du Québec à Rimouski, Université Laval.