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Risques psychosociaux : quels sont les risques « émergents » ?

Avec la modernisation récente de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST), les risques psychosociaux du travail sont actuellement au cœur des préoccupations des employeurs québécois. Bien qu’ils soient de mieux en mieux documentés, ceux-ci ne cessent d’évoluer, en raison des réalités changeantes qui façonnent le monde du travail d’aujourd’hui. Dans ce contexte, quelles sont les tendances émergentes en la matière ? Quels enjeux sont à considérer et quelles solutions peuvent être envisagées ? Dans cet articl, Manon Truchon (ULaval) et Mahée Gilbert-Ouimet (UQAR) vous proposent quelques éléments de réponse.

Selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), les risques psychosociaux du travail sont définis comme « des facteurs liés à l’organisation du travail, aux pratiques de gestion, aux conditions d’emploi et aux relations sociales, qui augmentent la probabilité d’engendrer des effets néfastes sur la santé physique et psychologique des personnes exposées ». (INSPQ, 2016). La modernisation récente de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) obligera bientôt tous les employeurs du Québec à identifier et à poser des actions pour prévenir ces risques psychosociaux (RPS) au sein de leurs organisations. 

Plus concrètement, les risques considérés comme prioritaires par la CNESST sont : 

  • Le harcèlement (psychologique et sexuel) ;
  • La violence en milieu de travail (verbale, physique, conjugale) ;
  • Les événements à potentiel traumatique. 

S’ajoutent à cela d’autres risques tels que : 

  • La reconnaissance au travail ;
  • La charge de travail ;
  • La latitude décisionnelle ;
  • Le soutien social ;
  • La justice organisationnelle (CNESST, 2023).

Ces derniers constituent les risques psychosociaux les mieux documentés par la recherche scientifique et ce, depuis de nombreuses années. Ils peuvent être qualifiés de risques « classiques*»

Parallèlement à ceux-ci, il existe d’autres risques psychosociaux dits « émergents », puisque leur validation scientifique est plus récente. Les travaux des chercheures Manon Truchon, de l’ULaval, et Mahée Gilbert-Ouimet, de l’UQAR, sur lesquels nous nous sommes appuyés pour rédiger ce papier, en identifient cinq principaux : 

  • Le climat de sécurité psychosociale ;
  • Les stresseurs numériques ;
  • Les conflits éthiques ;
  • Les demandes émotionnelles ;
  • L’imprévisibilité des tâches

Dans cet article, nous examinerons donc ces facteurs de risque émergents qui représentent des défis auxquels employeurs et employé-e-s sont confronté-e-s. Des pistes de solutions concrètes de pratiques organisationnelles visant à réduire ces risques seront également présentées. Il faut toutefois garder en tête que ces suggestions découlent, pour la plupart, de travaux de recherche récents et parfois peu nombreux. Par conséquent, des études supplémentaires sont requises pour bien les valider scientifiquement. 

  1. Le climat de sécurité psychosociale

Le climat de sécurité psychosociale est le premier des cinq risques émergents les plus documentés à ce jour. Ce climat réfère aux pratiques, politiques et procédures en place dans un milieux de travail pour agir sur les problèmes de santé psychologique (Dollard & Bakker 2010). Il est souvent identifié comme la cause des causes puisqu’il est relié en amont à d’autres RPS. Lorsque la haute direction accorde une importance stratégique aux enjeux de santé psychologique, des mécanismes tendent à être mis en place pour réduire, chez les gestionnaires et les employé-e-s, les demandes excessives tout en mettant à leur disposition des ressources favorisant la réalisation du travail et le bien-être. On parle alors d’un effet cascade suggérant qu’en agissant sur ce RPS, il est possible d’observer des effets sur d’autres RPS.

Exemple de pistes de solutions 

Pour que ce climat de sécurité psychosociale soit présent, la santé et la sécurité psychologique des employé-e-s au travail doit faire partie des préoccupations de la haute direction. Pour l’installer, les employeurs peuvent par exemple travailler à : 

  • Promouvoir la santé mentale en formant les chef-fe-s d'équipes à l’écoute active et à l’accompagnement des travailleurs en détresse ;
  • Former les gestionnaires à la gestion bienveillante ;
  • Créer des espaces de discussion sécuritaires où le personnel peut parler librement et exprimer ses besoins en termes de soutien requis (par exemple pour accomplir un travail selon les standards de qualités attendus). 
  1. Les stresseurs numériques

Les avancées technologiques rapides peuvent bien souvent créer des sources de stress telles que la surcharge d'information, la pression de rester constamment connecté-e, les demandes de multitâches et, dans certains cas, la dépendance technologique ou la difficulté à maîtriser de nouvelles technologies. Ces technologies de l’information et de la communication (TIC) peuvent conduire à certains problèmes tels qu’un sentiment d’être dépassé-e par la quantité des informations, une déconcentration inhabituelle, de l’inconstance dans sa productivité ou encore à un certain mal-être.

Exemple de pistes de solutions 

Face au technostress, certaines bonnes pratiques peuvent être mises en place telles que : 

  • Le simple fait de reconnaître que les TIC peuvent générer du stress peut, dans certaines circonstances, contribuer à l’atténuation du stress numérique et à la mise en place de bonne pratiques en la matière ;
  • Élaborer des politiques et des pratiques en matière d’utilisation des TIC
    • Convenir de moments exempts d'utilisation des TIC, afin de permettre aux employé-e-s de se concentrer sans interruption sur leurs tâches professionnelles prioritaires ;
    • Être flexible dans ce type de pratiques (p.ex. ne pas les imposer) afin de ne pas générer un stress supplémentaire ;
    • Offrir un soutien technique aux employé-e-s, incluant des formations appropriées ou de l'accompagnement pour l'utilisation des nouvelles technologies ;
    • Promouvoir une culture de la gestion saine de la technologie qui favorise une utilisation consciente et ciblée des outils numériques ;
    • Sensibiliser à l'équilibre entre travail et vie personnelle pour favoriser le respect de frontières entre ces sphères.
  1. Les conflits éthiques

Les conflits éthiques en milieu de travail peuvent survenir lorsque des différences d'opinions, de valeurs ou de croyances morales entre les employé-e-s, les employeurs ou les parties prenantes (p.ex. les proches des patient-e-s) créent des dilemmes moraux. Ces situations peuvent être complexes et difficiles à gérer, car elles impliquent souvent des choix pour lesquels il n'existe pas de réponse simple ou universellement acceptée. Pour citer quelques exemples de conflits éthiques courants en milieu de travail, pensons aux conflits d’intérêts, aux décisions en matière d’embauche et de licenciement, aux dilemmes concernant la confidentialité et aux situations de discrimination

Exemple de pistes de solutions 

Afin de prévenir et d’éviter ces conflits éthiques en milieu de travail, il est nécessaire d’instaurer une culture organisationnelle où le respect de l’éthique est reconnu et valorisé, et où les comportements non-éthiques sont ne sont pas tolérés voire réprimandés

  • Élaborer des règles et des procédures claires en matière d’éthique 
  • Clarifier et publiciser les valeurs de l’organisation 
  • Promouvoir une culture de soutien comprenant une offre de services au personnel. Par exemple, il peut s’agir : 
    • D’instaurer des rencontres individuelles de suivi régulières entre un-e employé-e et son ou sa chef-fe d’équipe ;
    • D’encourager les membres du personnel à prendre soin d’eux et à demander de l’aide au besoin ;
    • D’orienter les membres du personnel vers des ressources supplémentaires de soutien ou de conseil, au besoin ;
  • Offrir du soutien sur le plan éthique (p.ex. pouvoir consulter un-e spécialiste en éthique ou un comité d’éthique) peut permettre d’identifier et de résoudre sainement ce type de conflits ;
  • Former les chef-fe-s d'équipes à détecter les signes de détresse chez leurs employé-e-s, plus particulièrement dans les milieux où les exigences émotionnelles sont élevées ou dans les milieux plus propices aux enjeux éthiques (ex. clientèles vulnérables). 
  • Implanter des espaces de discussion destinés aux employé-e-s et à leurs gestionnaires semble efficace pour contrer ce phénomène. Comment ? 
    • En mettant en place des discussions d'équipe ouvertes, empathiques, pour discuter des défis éthiques auxquels l’équipe a été ou pourrait être confrontée ;
    • En encourageant tous les niveaux de travailleurs-euses et de gestionnaires à participer à des groupes de parole ou de soutien sur des thématiques en lien avec les difficultés rencontrées dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions.
  1. Les demandes émotionnelles

Les demandes émotionnelles en milieu de travail font référence à toute situation émotionnellement exigeante. Ce peut être, par exemple, des attentes explicites ou implicites concernant la manière dont les employé-e-s doivent gérer et exprimer leurs émotions dans le cadre de leur travail. Ces demandes peuvent varier en fonction du type d'emploi, du secteur d'activité et de la culture organisationnelle et peuvent avoir un impact significatif sur le bien-être émotionnel et mental du personnel. Parmi les aspects importants à considérer concernant les demandes émotionnelles, notons entre autres : 

  • Le travail émotionnel : par exemple, les employé-e-s du service à la clientèle qui se doivent de faire preuve de patience et d’amabilité en toute circonstance ;
  • L’expression émotionnelle authentique : il s’agit de certaines situations professionnelles dans lesquelles les employé-e-s peuvent se sentir contraint-e-s de masquer leurs véritables émotions ;
  • Le rôle émotionnel : les professions de soins de santé, d'enseignement et de service demandent de faire preuve d'empathie, de compréhension et de soutien émotionnel envers les personnes avec lesquelles ils ou elles interagissent.

Exemple de pistes de solutions 

  • Reconnaître qu’un travail est émotionnellement exigeant constitue un premier pas
    • En parlant ouvertement de la présence d’une demande émotionnelle élevée dans notre milieu et du fait que le travail peut devenir émotionnellement exigeant ; 
    • En sensibilisant les personnes qui collaborent avec l’équipe au fait que la demande émotionnelle est particulièrement élevée.
  • Offrir un programme d’aide aux employé-e-s (PAE) adapté aux besoins et à la réalité des membres de l’équipe peut être approprié. En complément, il peut être judicieux de faire connaître d’autres sources de soutien disponibles et de légitimer le besoin et les avantages à les utiliser ;
  • Mettre en place des espaces de discussion, de paroles, d'échanges et de répit peut s’avérer utile aux employé-e-s faisant face à une demande émotionnelle élevée :
    • En offrant aux travailleurs-euses et aux gestionnaires des pauses et des occasions de se regrouper, à la suite de situations émotionnellement exigeantes ;
    • En prévoyant des espaces de parole (lieu et temps de rencontre) pour miser sur la participation des personnes et des groupes.

Voici d’autres pistes de solution possibles pour donner aux employé-e-s les moyens d'effectuer un travail de qualité :

  • Offrir une formation adéquate pour les nouveaux-elles employé-e-s ;
  • Assurer le développement des compétences tout au long de la carrière ;  
  • Effectuer une rotation des tâches et des activités pour éviter une surexposition à des activités exigeantes sur le plan émotionnel.
  1. L'imprévisibilité des tâches

On considère l'imprévisibilité des tâches comme la nature changeante et incertaine des responsabilités et des activités que les employé-e-s doivent accomplir. Dans un environnement de travail caractérisé par l'imprévisibilité, le personnel peut être confronté à des défis tels que des changements fréquents de priorités, des demandes de dernière minute, des urgences non planifiées et des ajustements constants au niveau de leurs tâches quotidiennes. Cette situation peut avoir des impacts significatifs tels que le stress et l’anxiété, une baisse de la qualité du travail, des difficultés de concentration ou encore une baisse de la satisfaction au travail. 

Exemple de pistes de solutions 

  • Former les employés sur la meilleure manière de faire face aux situations stressantes peut être une solution pour réduire les conséquences de l’imprévisibilité des tâches;
  • Soutenir l’employé-e qui se sent mal préparé à faire face à une tâche imprévue en exerçant une supervision appropriée ;
  • Favoriser le mentorat et le partage d'expériences de travail entre les membres de l'équipe pour leur permettre d’échanger avec leurs collègues sur les situations vécues et sur l’identification des tâches de travail essentielles ou prioritaires ;
  • Favoriser la transparence et la communication rapide et efficace peut être utile dans le contexte d’imprévus réguliers. De quelle manière ?
    • En avisant rapidement les employé-e-s lorsque les projets ou leur hiérarchisation sont sur le point de changer. Cette stratégie leur permet de recevoir plus d'informations sur les modifications potentielles des projets en cours, en plus de leur permettre d'anticiper les tâches à venir ;
    • En attribuant soigneusement les responsabilités après avoir bien délimité la nature des tâches et des responsabilités, et saisi les exigences sur le plan qualitatif du travail demandé.

En conclusion, les employeurs québécois ont fort à faire dans le domaine de la prévention des risques psychosociaux, tant pour les RPS dits « classiques » que pour les risques dits « émergents » que nous venons de passer en revue dans cet article. Il sera nécessaire, dans un futur proche, de mieux documenter ces RPS ainsi que les actions efficaces pour les réduire. Il faut donc maintenir une veille constante en la matière, afin de respecter les nouvelles obligations liées à la modernisation de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST).

La dynamique du monde professionnel en constante évolution nécessite dès maintenant une attention et des mesures adaptées. Les défis tels que les nouvelles formes de travail, les technologies numériques envahissantes, les demandes émotionnelles accrues et les incertitudes économiques ne doivent pas être sous-estimés. Cependant, cette ère de transformation offre également des opportunités pour créer des environnements de travail plus sains et plus résilients. 

C’est en adoptant une approche proactive que les employeurs pourront mettre en œuvre des stratégies efficaces de prévention, de sensibilisation et de soutien qui renforcent la santé mentale et émotionnelle de leurs travailleurs-euses. Une collaboration entre toutes les parties prenantes, à savoir les employé-e-s, les gestionnaires et la haute direction est capitale pour anticiper et atténuer les risques psychosociaux émergents, favorisant ainsi des milieux de travail épanouissants et durables pour tous-tes.

 

*Pour en savoir plus sur les risques psychosociaux « classiques », nous vous recommandons de consulter la page web dédiée au sujet sur le site de l’INSPQ, dont voici le lien : Risques psychosociaux du travail : les principaux facteurs

 


Cette entrevue est un contenu extrait de la 14e édition de notre magazine. Vous pouvez la consulter dans son intégralité en cliquant sur le lien suivant : Voici la 14e édition de notre magazine !

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