Par Zeineb Khalfallah
Le Groupe entreprises en santé est fier de pouvoir compter sur le support des Ambassadeurs avec lesquels il partage une ambition : construire des milieux professionnels sains grâce aux meilleures pratiques de santé et mieux-être au travail (SMET).
David Ford-Johnson, Directeur général d’Arborescence, fait partie de cette organisation Ambassadrice. À travers sa collaboration avec le Groupe entreprises en santé, il aspire à promouvoir une approche holistique de la santé en milieu de travail pour créer des environnements propices à l’épanouissement des employé-e-s.
L’équipe de rédaction du Groupe entreprises en santé s’est entretenue avec lui afin d’en savoir davantage sur sa vision du monde du travail.
Présentez-vous en nous donnant un aperçu sur votre parcours professionnel
À l’heure d’aujourd’hui, je cumule 15 ans d’expérience en gestion. Débutant ma carrière à l’international en 2006, j’ai assuré plusieurs rôles de gestion dans différentes missions humanitaires en Amérique centrale, en Afrique, au Moyen Orient et en Europe de l’Est. En 2015, j’ai déménagé à Montréal et me suis investi localement dans la gestion d’organismes communautaires. Plus spécifiquement, j’ai commencé à travailler dans l’équipe de direction d’Arborescence, organisme communautaire spécialisé auprès des proches aidants en santé mentale, où je suis directeur général depuis 7 ans.
En 2019, au vu de l’ampleur que les difficultés de santé mentale posaient en milieu de travail, nous nous sommes lancés dans l’aventure de l’intrapreneuriat social chez Arborescence. Sur la base de nos 44 ans d’expérience et d’expertise en intervention psychosociale, nous avons élaboré et ensuite mis sur le marché une offre de services aux organisations visant à former, outiller et accompagner les professionnel-le-s RH et les gestionnaires à mieux composer avec les difficultés psychologiques des membres de leurs équipes.
En tant que formateur agréé, j’offre des services aux organisations depuis 2019, et c’est par ce biais que je me suis découvert une passion pour la SMET.
Comment décririez-vous votre appui au Groupe entreprises en santé ?
Depuis qu’Arborescence s’est lancée dans l’intrapreneuriat social en 2019, nous avons tissé des liens de partenariat avec plusieurs acteurs du domaine de la SMET. Le Groupe ES en a été parmi les premiers avec qui “ça a cliqué”.
Quoi ? Un organisme communautaire qui fait de l’intrapreneuriat social et qui vend des services en santé mentale aux entreprises privées ?!?! En effet! Et depuis le tout début, le Groupe ES a cru en nous. Le Groupe ES a compris tout de suite la pertinence de nos actions favorisant la santé mentale en milieu de travail, mais au-delà de ça, l’importance de tenir compte de la proche aidance et de son impact sur les personnes qui aident mais également sur celles qui sont aidées. Et l’impact que cela a sur les milieux de travail.
C’est pour cette raison, entre autres, que je soutiens fidèlement le Groupe ES et suis même devenu ambassadeur.
Selon vos observations, comment se démarque Arborescence en matière de SMET ?
Certaines études et articles, sortis récemment, ont démontré que les démarches visant à améliorer la santé mentale des individus en milieu de travail sont peu concluantes en termes d’impact sur les salarié-e-s, mais que ce sont les démarches visant à améliorer la santé mentale des organisations qui sont les plus bénéfiques [1].
Comment expliquer cette différence, et comment est-ce que cela contribue à ce qu’Arborescence se démarque en matière de SMET, et plus particulièrement en matière de santé mentale en milieu de travail ?
Pour répondre à la question, regardons dans un premier temps quelques points clefs de la pensée d’Edgar Morin, sociologue et philosophe français, qui est connu pour ses travaux sur la complexité et la pensée systémique.
Pour ce qui est de la complexité : Morin prône une approche reconnaissant la complexité du monde, d’un système ou d’un phénomène (et pour notre cas à nous, la santé mentale en milieu de travail). Il s'oppose à la réduction des problèmes en parties isolées et préfère une vision holistique du système ou du phénomène. Ce qui nous amène à la pensée systémique. Là, Morin met l’accent sur la nécessité de comprendre les systèmes ou les phénomènes dans leur globalité et sur le fait que les éléments composant cet ensemble interagissent entre eux et sont interdépendants[2].
Quand on réalise une démarche visant à améliorer la santé mentale des individus au sein des organisations, on a tendance à mettre en œuvre une approche majoritairement individualiste, qui outille les individus à mieux gérer leur propre santé mentale au travail. Cette approche individualiste est basée sur l’idée que le changement collectif ou systémique est le résultat d’un cumul de changements individuels. Cette approche est d’ailleurs parfaitement captée dans l’injonction rendue célèbre de Mahatma Gandi : sois le changement que tu veux voir dans le monde. La prémisse concernant la santé mentale au travail est sans équivoque : on améliore la santé mentale des individus dans nos organisations, et le résultat sera inévitablement que la santé mentale de notre collectivité (notre organisation) sera améliorée.
Cependant, en milieu de travail, les individus naviguent dans un système complexe, qui est composé à la fois de relations sociales tissées avec leurs collègues/superviseurs et des interactions avec leur environnement, les politiques et la culture de l’organisation. Qui plus est, tous ces éléments interagissent les uns avec les autres et sont interdépendants. Par conséquent, il est difficile, voire impossible, d’isoler l’individu dans ce contexte et d’améliorer sa santé mentale au travail sans travailler simultanément sur l’ensemble d’éléments composant l’organisation.
Comment est-ce qu’on peut appliquer concrètement une approche systémique à une démarche visant à améliorer la santé mentale en milieu de travail ?
Pour commencer, nous croyons que les démarches visant à améliorer la santé mentale des individus dans les organisations ne sont pas à jeter à la poubelle. Du tout. Mais qu’elles sont insuffisantes à elles seules. On ne peut pas faire évoluer ce système complexe en faisant uniquement évoluer les individus dans le système, et nous avons vu pourquoi avec les idées de la complexité et de la pensée systémique de Morin.
On a besoin de faire évoluer les individus. ET en même temps, on a besoin de réaliser des démarches qui visent la santé mentale au sein de nos organisations à un niveau systémique. Ça peut avoir l’air ésotérique et inaccessible comme approche, ou pour le moins abstrait, mais nous travaillons sur les systèmes complexes pour améliorer la santé mentale chez Arborescence depuis 44 ans. Nous posons des gestes concrets et en voyons les résultats quotidiennement.
En voici donc un exemple concret pour la santé mentale au travail :
Nous pouvons agir sur les pratiques de gestion. Il s’agit là d’un levier important sur lequel les organisations ont un pouvoir d’agir. Prenons l’exemple de la gestion de la charge de travail, qui est un facteur qui pèse lourd dans l’équation de leur bien-être. Nous pouvons accompagner nos gestionnaires à ce qu’ils adoptent une posture double face à la gestion de la charge du travail : d’une part avec une approche visant l’efficacité et la productivité, et d’autre part avec une approche se basant sur la compréhension et la prise en compte empathique et humaine de qui est la personne dans sa globalité. Mais comment faire, surtout pour cette 2e posture ?
Prenons l’exemple des limites. Comme milieu de travail, on peut encourager les employé-e-s à mettre leurs limites quand c’est trop. Mais on ne peut pas s’arrêter là. On se donne l’obligation, comme employeur, d’instaurer un environnement dans lequel ces personnes savent - et sentent dans leurs entrailles - qu’elles peuvent mettre leurs limites, que ces limites seront acceptées par leur gestionnaire, que ces limites n’auront pas d’impact négatif sur leur statut au sein de l’organisation ni sur l’appréciation de leur gestionnaire.
On l’entend dire tout le temps : les individus doivent apprendre à mettre leurs limites au travail. Il s’agit d’une approche individualiste qui met une responsabilité disproportionnellement grande sur les épaules des individus. Pour nous, chez Arborescence, ce n’est pas suffisant. Certes, les individus ont une responsabilité de se connaître, de connaître leurs limites, et de lever la main quand c’est trop. Mais les organisations ont également une (très) grande responsabilité à encourager à poser des limites, à entendre ces limites, à en tenir compte, et ultimement à s’adapter à ces limites.
Là, on travaille simultanément l’individu, son environnement, le social, la culture, ainsi que les interactions entre ces différents éléments…on réunit les conditions gagnantes pour faire évoluer le système complexe de la santé mentale en milieu de travail.
Chez Arborescence, nous avons cette vision écosystémique et relationnelle de la santé mentale en milieu de travail. Nous n’avons pas LA solution. Il n’y en a pas. Mais nous pouvons certainement apporter notre pierre à l’édifice.
Qu'est-ce que vous souhaitez améliorer dans les milieux de travail dans votre secteur ? Quelle influence aimeriez-vous avoir sur les milieux de travail ?
Au-delà de l’adoption généralisée d’une approche écosystémique et relationnelle par rapport à la santé mentale en milieu de travail ?
Je pense qu’en 2024, on considère trop peu l’impact de la proche aidance (en santé mentale mais aussi pour les personnes en perte d’autonomie, en déficience intellectuelle...) sur les travailleurs-euses. Nous avons parlé de la complexité et de la pensée systémique. Continuons sur cette même veine.
Si l’on considère nos employés uniquement par rapport au travail qu’ils rendent pendant les 35 ou 40 heures qu’ils sont “au travail”, on retombe dans une manière atomisée de voir les choses. On ne considère pas l’être humain dans sa globalité. Mais c’est pourtant tous les éléments qui composent cette globalité humaine qui vont avoir de multiples impacts sur le travail rendu.
Oui, notre vie personnelle a un impact sur le travail. Tout comme notre vie professionnelle a un impact sur notre vie personnelle. Nous sommes les mêmes personnes qui nous réveillons le matin, qui amenons nos enfants à l’école, qui allons au travail, qui faisons du sport le soir, qui discutons avec nos amis autour d’un verre, qui nous couchons et qui dormons (parfois mal). Ajoute à cela une charge mentale et émotionnelle liée à la proche aidance, et bien sûr que cela a un impact sur notre rendement au travail, peu importe notre niveau de volonté, d’engagement ou de capacité.
En fait, pour tout dire, plus on ignore ces éléments personnels - pourtant très importants - chez nos travailleurs, et plus on insiste pour qu’ils performent au travail “comme si de rien n’était”, plus le milieu de travail continuera de contribuer de façon néfaste à notre santé mentale.
Je comprends très bien qu’au travail, il y ait un cadre. Qu’il y ait des attitudes et comportements à adopter. Que nous ayons des objectifs à atteindre, etc. Je ne remets rien de cela en question. J’aimerais pour autant que les milieux de travail en 2024 puissent tenir davantage compte du fait que, avant d’être des professionnels, nous sommes d’abord et avant toute autre chose des êtres humains. Des êtres sociaux. Des êtres émotifs. Et que le rendement au travail est tributaire de nombreux facteurs, dont des facteurs qui se trouvent en dehors du cadre de travail. Le rendement n’est pas uniquement une question de volonté. Ce n’est pas vrai pour toutes les personnes dans toutes les situations que : si tu veux, tu peux.
Parfois, on ne peut pas. Pour une multitude de raisons. Mon rêve, c’est d’avoir de plus en plus de milieux de travail qui ont cela comme paradigme concernant le rapport entre les individus et leur emploi.
Pour en savoir plus sur nos Ambassadeurs, consultez notre page web qui leur est dédiée en cliquant ici.
Sources :
[1] Bien-être au travail : cette étude qui prouve l’inutilité des ateliers de développement personnel